Allez, tout le monde s’y met, alors voici une petite nouvelle sur la fin du monde. Amusez-vous bien !
2012
Carcassonne, 20 décembre 2012
Paul parcourait son appartement au pas de course, les bras encombrés des derniers vêtements qu’il voulait emporter. L’heure du départ approchait, il ne devait surtout pas traîner. Nerveux, il fourra son chargement dans un grand sac de voyage et refit mentalement le tour de ce qu’il avait déjà chargé dans sa voiture. Le jeune homme ne devait rien oublier d’indispensable, il n’aurait pas l’opportunité de revenir chez lui. Bientôt, ce serait la fin du monde. Son téléphone sonna et, grâce à son oreillette bluetooth, Paul put prendre l’appel sans arrêter sa besogne. Il reconnut aussitôt la voix de son meilleur ami.
— Salut mon grand, tu es prêt ?
— Presque, je termine. Je serai parti dans dix minutes au plus.
— OK, grouille-toi, moi je suis déjà sur la route. Dis donc, tu as vu les dernières news sur findumonde.com ?
— Ouais, c’est terrible ! Ils se sont gourés sur l’heure ! Une histoire de décalage avec les étoiles, ou je ne sais quoi. Mais t’inquiète, on est dans les temps.
— Surtout moi, gros malin ! Par contre, la T.V. et la radio passent des messages d’appel à la raison, comme ils disent. J’aimerais bien voir leurs tronches, à ces abrutis, quand ça va leur tomber dessus !
— Ils vont être les premiers à se mettre à l’abri, tu peux me croire. Ils essaient de dissuader les gens pour que Bugarach ne soit pas envahi. D’ailleurs, tout le gouvernement doit déjà s’y trouver !
— C’est clair ! Quelle bande d’hypocrites !
— Ça roule bien pour le moment ?
— Oui, mais je pense que ça ne va pas durer, la neige recommence à tomber. Tu sais ce que c’est dans ces cas-là, les gens avancent comme des escargots. Magne-toi un peu !
— Voilà, j’emballe ma PS3 et j’y go !
— Tu as bien pris tes DVDs ?
— Évidemment ! Et toi, tu as ton écran plasma ?
— Yep ! J’ai aussi embarqué toute ma musique en MP3, ce sera plus facile à stocker. Je vais m’arrêter en route pour compléter la provision de bouffe. Je te prends des chips ?
— Ouais ! Moi j’ai acheté 8 packs de bière, ça devrait nous suffire pour quelques semaines. Après, faudra voir avec ce qu’il restera des magasins…
— J’espère qu’on aura pas à bourlinguer trop loin pour refaire nos stocks ! Tiens, j’aperçois un McDo, je vais nous acheter un truc pour ce soir ! Je raccroche, à tout’ !
— OK, je fais un dernier tour de l’appart et je pars.
Paul raccrocha. Puis, méticuleusement, il vérifia que le gaz était coupé, que le réfrigérateur était vide, qu’aucun objet fragile ne traînait et, enfin, il ferma les compteurs d’eau et d’électricité. Ces gestes, bien qu’inutiles – voire stupides – lui paraissaient indispensables afin de marquer son départ d’une pierre blanche. Il était heureux de quitter son quotidien crasseux pour une nouvelle aventure, dans un monde repeint à neuf par les éléments. Il serait débarrassé des abrutis qui encombraient sa vie, des politiciens qui conduisaient le pays à la ruine, des journalistes qui mentaient comme des arracheurs de dents, de la société de consommation qui épuisait la planète… Paul empoigna son sac de voyage et se dirigea vers la porte. Il s’arrêta soudain à la vision de son tableau pense-bête, juste à l’entrée. Il y était écrit en gros caractères :
Sortie de Game of War 6 : 22 décembre 2012
— Merde ! lâcha-t-il tout haut. Je l’attendais depuis six mois, quelle chiotte !
Il sortit de l’appartement, verrouilla sa porte puis descendit les marches vers le rez-de-chaussée en maugréant. Ils n’auraient pas pu le sortir une semaine avant, ces cons-là ! Il faudrait qu’il demande à son pote s’il se sentait capable de pirater des serveurs étrangers. Peut-être que là-bas…
Paul poussa la porte du bâtiment avec l’épaule. La neige s’était accumulée derrière, rendant difficile sa manœuvre. Il finit par y arriver et fit quelques pas dans la neige avant de s’arrêter. Il respira à pleins poumons l’air frais du soir, satisfait de voir l’épaisseur du manteau blanc. Avec cette météo, peu de gens se risqueraient sur les routes… Il ricana. Parfait. Vraiment parfait. Un bruit, une sorte de glissement sourd, lui fit tourner la tête. Erreur, cela venait du dessus. Une congère descendit du toit, passa la gouttière et tomba lourdement sur Paul. Touché à la nuque, il tomba à genoux avant de s’effondrer de tout son long. Sa tête percuta un plot en pierre qui dépassait à peine de la neige ; placé là à la demande des autres locataires pour l’empêcher, lui, de se garer devant l’entrée. Sonné, il vit quelques étoiles avant de s’évanouir pour de bon.
Dans la résidence, personne n’osa mettre le nez dehors de la soirée. Et aucun visiteur ne s’aventura jusque-là. Paul mourut de froid sur le pas de sa porte, recouvert d’un linceul blanc, indifférent à la sonnerie persistante de son téléphone.