Je suis ici depuis trop longtemps. Pourtant, je le sais bien, je commence à avoir l’habitude : il ne faut jamais se planquer plus d’une semaine au même endroit. Mais voilà, cet immeuble, il me plaît… sa façade, entièrement éventrée, me laisse admirer chaque matin le lever du soleil sur ce quartier en ruines. Ses rayons balaient les restes de notre civilisation et l’éclaire d’une lumière crue qui ne tolère aucun artifice. Elle révèle cette simple vérité que nous avons ignorée durant des siècles : nous sommes éphémères.
Aujourd’hui, vautré sur un vieux matelas, je passe mes journées à contempler ce paysage devenu plus familier que mes propres pensées. Je ne songe même plus à me nourrir… à quoi bon ? Les opportunités sont si rares. En réalité, la seule possibilité, c’est la chasse. Et je ne peux pas m’abaisser à cela, ce n’est pas dans ma nature. Je préfère encore mourir. Les autres seront moins timorés, je ne me fais guère d’illusions là-dessus. Au début, je bougeais beaucoup, je réussissais à tenir avec peu de choses. Maintenant, je n’ai plus envie. Je contemple cette désolation, voilà tout. Je les attends. Ils vont me trouver, c’est juste une question d’heures, à présent.
Perdu dans ma rêverie, je grignote un morceau de carton plus noir qu’un croque-monsieur trop cuit. J’entends du bruit. Des débris dégringolent, au rez-de-chaussée. Ils arrivent…
Illustration faite avec The Gimp et Painter Essential